Rencontre avec Alexis Tricoire

Designer végétal de renommée internationale, Alexis Tricoire est une personnalité atypique, un observateur de notre temps qui crée une nouvelle architecture sensible à partir du végétal vivant. Fondateur de Végétal Atmosphère, Alexis Tricoire combine dans son expertise plusieurs dimensions : design, architecture, botanique, art et innovation technologique.

Diaporama : Folies Végétales, Hybridations, Extensions tentaculaires, Diner’s tree, Alexis Tricoire. (crédit photo Yann Monel)

Alexis Tricoire, Designer Végétal dévoile son nouveau projet.

.Holocene Design Gallery : Quel est votre parcours ? Et décrivez-nous vos débuts en tant que designer végétal ?

Alexis Tricoire : j’ai fait les Arts Décoratifs à Paris, j’ai appris à faire du mobilier, de la scénographie et ensuite j’ai travaillé comme designer indépendant. Puis, j’ai rencontré Patrick Blanc pour qui j’ai réalisé en 2006 la scénographie de l’exposition « Folie Végétales » à l’espace EDF à Paris. A cette occasion, j’ai inventé des machines, de grandes structures qui mettaient en scène des phénomènes botaniques de façon spectaculaire et durable, c’est-à-dire pour une durée de plusieurs mois.

HDG : Quelles leçons tirez-vous de cette première expérience ?

Alexis Tricoire :  J’ai toujours apprécié le milieu des jardins et de la nature mais je n’avais pas fait le lien avec mon travail personnel avant cela. J’avais une approche plutôt classique du design. Cette expérience a été une ouverture vers un monde intéressant qui consistait à associer le design et le végétal. Cela était pour moi un vrai tournant parce que cette exposition a rencontré un grand succès auprès du public et ensuite parce que des personnes ont commencé à me contacter pour envisager des projets de ce type dans des lieux publics. C’était le début d’une nouvelle vocation. Au fond, assez proche de mon identité car j’ai toujours eu une grande sensibilité pour la nature, un intérêt fort pour la biodiversité et je suis très attaché à la préservation des forêts primaires.

Folies Végétales.

HDG : Comment expliquez-vous ce retour au lien qui unit L’homme et la nature dans la ville ?

Alexis Tricoire : Il y a une demande de la part de la société d’intégrer plus de naturel dans nos villes. Dans notre époque post-moderne, nous sommes arrivés à un stade où il s’agit de revenir aux fondamentaux sur la question du rapport entre de l’homme à la nature. Et le design végétal vise aussi le bien-être de l’homme. Cela apporte un certain équilibre d’être entouré de végétations.

HDG : Comment abordez-vous un projet pour commencer ?

Alexis Tricoire : Il y a deux approches. Il peut y avoir une approche symbolique par l’usage de la métaphore. Il existe aussi une approche par la sensibilisation, le travail sur l’émotionnel. Il est possible de faire passer des messages notamment par le biais du bien-être. Montrer de quelle manière l’intégration du végétal peut révéler des sensations.

HDG : Lors de la Paris Design Week, votre exposition Hybridations a montré l’intégration d’objets industriels dans la nature, était-ce un moyen de dénoncer les travers de notre époque pro-industrielle ?

Alexis Tricoire : Hybridations a été réalisée dans les Grandes Serres du Jardin des Plantes. Dans un univers déjà végétal. Hybridations soulignait le rapport entre urbain et industriel. Les objets comme les brosses de toilettes, sont détournées de leurs fonctions puis intégrées dans un environnement naturel. Le fait de mélanger la fibre végétale avec la fibre industrielle permettait d’apporter une dimension et une ambiance surréalistes. Elle posait la question de comment la société peut se développer sans détruire le capital des ressources de la planète et de la biodiversité qui est en particulier, irréversible. Une question récurrente que j’ai plusieurs fois eu l’occasion d’aborder notamment au centre d’art de la Maréchalerie du château de Versailles avec Extensions tentaculaires. Dans Hybridations, les produits industriels, on en a tous besoin, on les utilise tous pour un usage domestique. Dans un contexte dans lequel « on consomme puis on jette ». Donner un aspect ravissant à ces objets polluants permet de considérer leur place différemment et d’évaluer d’une autre manière, leur impact dans la nature.

Extensions Tentaculaires.

HDG : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en général ?

Alexis Tricoire : Je travaille sur des concepts où la nature est intégrée. Comme elle est vivante, elle se développe, elle va évoluer constamment. Dans les centres commerciaux ou les espaces publics, la difficulté c’est de rassurer les clients sur la faisabilité, l’entretien, car ces installations nécessitent de l’eau, de la lumière. Très vite, les questions techniques et financières surgissent. Le challenge consiste à concevoir des installations 100% autonomes pendant 6 mois à un an, sans entretien. Les gens réalisent aussi que la nature n’est pas figée, elle évolue dans le temps. Ils sont très sensibles au développement de la plante. Ce qu’il y a de fort avec le vivant, c’est l’énergie que cela procure et parfois sans s’en rendre compte.

HDG : Travailler sur la thématique de la ville et de la nature est le plus souvent le rôle du paysagiste, de l’architecte, de l’urbaniste. Quel rôle le designer peut-il tenir ?

Alexis Tricoire : La ville est composée d’immeubles mais aussi d’objets, notamment le mobilier extérieur. La ville contient de nombreux éléments conçus par le designer. Et il existe d’autres solutions encore inexplorées. Par exemple, si on prend le cas du mur végétal, inventé par Patrick Blanc, cela a permis non seulement de changer la vision du végétal mais aussi d’imaginer une nouvelle forme d’architecture. Le végétal devient une sorte de revêtement de surface. Et l’architecte se l’est approprié. Après le mur végétal, on arrive sur l’objet végétal. Il peut être utilisé potentiellement comme un espace, un volume, il peut créer de nouveaux ponts, de nouvelles lignes qui apportent un autre niveau de lecture de la ville.

HDG : Parlez-nous du projet Diner’s Tree sur lequel vous travaillez actuellement ?

Alexis Tricoire : C’est un projet que nous sommes en train de monter à Münchengladbach près de Düsseldorf, en Allemagne. J’ai été contacté par un client pour travailler sur un élément emblématique d’un centre commercial. L’objectif est de proposer une installation qui donne de l’âme au lieu, un aspect exceptionnel. Le brief était vague. Il n’y avait pas d’idées très précises au départ. Nous avons fait des suggestions en partant de la thématique des 5 sens qui était développée dans l’ensemble du centre. Au niveau de la localisation, il y avait une verticalité sur 4 étages avec des ouvertures vers des espaces de détente et de restauration. Nous avons eu l’idée de donner un signal pour relier l’ensemble du centre à la partie restauration, en développant le sens du goût. L’idée est de créer une sorte d’arborescence, un grand arbre dont les branches soutiennent des assiettes géantes, par analogie avec le bras du serveur généreux qui tend l’assiette. Avec un éclairage particulier des plantes, cette installation sera une sorte de totem poétique de 18m de haut accessible au public à partir du 25 mars dans le centre commercial Minto.

Diners tree.

HDG : Quels types de prestations proposez-vous ?

Alexis Tricoire : Je conçois et produis des installations monumentales pérennes intégrant du végétal vivant. Au sein de Végétal Atmosphère, nous maîtrisons toutes les compétences habituelles d’un studio de design : recherche créative, conception 3D, développement technique, suivi de fabrication. Mais nous avons en plus, une expertise sur la manière de faire pousser le végétal avec différents systèmes pour surprendre le spectateur. En général, les clients m’appellent parce qu’ils ont envie d’avoir une installation emblématique, spectaculaire, qui véhicule les valeurs vertueuses de leur entreprise (développement durable, bien-être…) en lien avec l’identité du lieu, la thématique de la décoration et ce qu’on appelle aussi le customer journey c’est à dire le parcours expérientiel du visiteur. Il s’agit souvent de générer des flux de circulation et d’offrir des espaces de détente, de respiration.

HDG : Quelles sont vos influences, vos sources d’inspiration ?

Alexis Tricoire : Je suis à la recherche d’éléments sensoriels. Je peux me trouver dans des situations qui me bouleversent. Dans l’art contemporain, je pense notamment à Anish Kapoor, à Pierre Soulages. Des artistes qui apportent des sensations visuelles qui me touchent. Il y a des artistes de Land art particulièrement intéressants comme Christo, qui a multiplié des objets dans la nature et cela transforme les paysages. J’aime beaucoup les réalisations de Nils Udo, un artiste de land art qui travaille sur des choses très éphémères, et les effets visuels sont très beaux.

HDG : Quel est le projet dont vous rêvez ?

Alexis Tricoire : J’aimerais travailler dans un projet à l’échelle urbaine. Tisser une toile dans la ville pour lui donner une identité globale. Je ne me projette pas non plus. J’aime m’ouvrir aux choses de la vie qui arrivent. C’est la vie qui vient à vous. Et il faut la transcender. Je laisse le destin choisir et j’essaie de tirer le meilleur. je ne fais pas des choix a priori. L’important c’est de continuer à créer et faire plein de choses, de continuer à être surpris à chaque fois. Dans l’hôtellerie haut de gamme il y aurait aussi beaucoup de choses à faire avec le design végétal, mais il faut franchir encore quelques barrières, c’est un secteur traditionnel.

HDG : Qu’est-ce que vous ressentez quand vous êtes dans la nature ?

Alexis Tricoire : Pour moi la nature est une source perpétuelle de ressourcement.

Pour en savoir plus sur : Alexis Tricoire et Végétal Atmosphère