Guillian Graves, designer en bio-design

mars 3rd, 2015 Posted by Interviews, Matériaux, Nature et monde du vivant No Comment yet

Rencontre avec Guillian Graves

L’appauvrissement des ressources naturelles et la dépendance aux modèles traditionnels de production industrielle, souvent peu écologiques, permettent d’interroger de nouvelles formes d’innovation, de conception et de fabrication inspirés par la nature elle-même. Rencontre avec Guillian Graves, Designer.

Projets illustrés de Guillian Graves, designer en bio-design

Guillian Graves, un designer inspiré par la nature

Holocene Design Gallery : L’homme a souvent eu un rapport ambivalent avec la nature. Soit pour la dompter dans une logique productiviste soit pour s’intéresser à ses vertus bienfaitrices. Quelle est l’attitude d’un designer tel que vous face à ce paradoxe ?

Guillian Graves : Effectivement, ce rapport ambivalent entre l’homme et la nature dure depuis longtemps et la logique productiviste, qui en résulte n’a pas été sans conséquence. Il est maintenant avéré que notre paradigme industriel actuel, bâti à la fois sur un ensemble de techniques particulièrement destructrices pour notre environnement et sur un usage massif de ressources limitées, ont fortement perturbé le fonctionnement de notre biosphère de ces vingt dernières années. Les conséquences sont la réduction de la biodiversité, l’acidification des océans, le changement climatique, etc. Or sans biosphère, nulle activité humaine et nulle industrie ne peuvent subsister. Il apparaît donc nécessaire d’envisager des alternatives à cette démarche industrielle productiviste, d’oublier la traditionnelle opposition entre nature et culture afin de réconcilier/reconnecter l’humain et la biosphère.

Ce positionnement relevant du bon sens, soutenu par de nombreux scientifiques aujourd’hui, ne va pourtant pas à l’encontre du progrès technologique, bien au contraire. L’approche du biomimétisme développée par la biologiste américaine Janine Benyus, invite par exemple à s’inspirer du vivant afin de tirer parti des solutions inventées par la nature. Une manière de repenser nos façons de concevoir, de fabriquer et de vivre nos objets, nos espaces, nos organisations, notre économie, etc. Et lorsque l’on regarde la nature de plus près, on se rend compte que c’est un designer extraordinaire, une technologie tout autant performante que durable, qui a beaucoup de choses à nous enseigner.

HDG : En quoi consiste l’approche du Bio design ? et quel est le rôle des nouvelles technologies dans le processus de création?

Guillian Graves :  Historiquement, le bio design part du principe que la nature regorge de principes, de fonctions ou de mécanismes efficients desquels nous pouvons nous inspirer afin de concevoir des biens ou des services innovants. Ces quelques derniers milliards d’années, le vivant a pu mettre au point des stratégies performantes et étonnantes qu’il est possible d’observer puis de transférer dans l’environnement humain sous des formes diverses et variées. La biologiste américaine Janine Benyus affirme d’ailleurs que la biologie, c’est « 3.8 milliards d’années de R&D ! ». Designers et ingénieurs se sont alors saisis de cette approche pour résoudre des problèmes généralement d’ordre technique ou technologique dans les champs tels que les transports, l’architecture, la robotique. Cette collaboration peut aussi simplement permettre de générer de nouveaux langages formels, créer de nouvelles esthétiques et de nouveaux imaginaires. C’est une vision qui a eu tendance à s’élargir depuis.

Les progrès grandissants dans la compréhension des systèmes biologiques, la maîtrise de plus en plus poussée du code génétique, les avancées techniques et technologiques tout comme l’apparition de nouvelles pratiques, permettent aujourd’hui d’aborder le bio design sous des angles nouveaux et totalement inédits. Il est possible de s’en inspirer en tant que modèle (bio-inspiration et mimétisme), de s’en servir en tant que matériau (bio-utilisation), de s’en aider en tant que procédé (bio-assistance) ou encore de l’utiliser pour fabriquer de toutes pièces (biologie synthétique). Cela permet  de participer à l’élaboration d’une industrie nouvelle, basée sur l’utilisation du vivant en tant que “ressource”.

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Pour ma part, je m’intéresse tout particulièrement au biomimétisme, une approche qui consiste à s’inspirer du vivant afin de concevoir des produits et des services à la fois innovants et durables. Les progrès considérables réalisés dans la compréhension des systèmes biologiques, nous permettent d’assimiler le vivant comme un ensemble de technologies matures et performantes susceptibles de fournir de nouvelles alternatives à une industrie traditionnelle qui reste problématique sur le plan environnemental. Là où nous utilisons des solvants, la métallurgie et l’industrie lourde, le biologique fabrique des structures complexes et génère de la matière et des formes à partir d’eau, de soleil et de températures ambiantes. Là où nous utilisons des ressources limitées, il puise dans les ressources libres et renouvelables. En bref, il peut être un modèle pour la conception d’objets tout autant performants du point de vue de l’usage que du point de vue environnemental.

À ce titre, non seulement nous nous inspirons du vivant, mais nous travaillons également directement avec des organismes vivants et les nouvelles technologies ont un rôle majeur dans cette démarche. Tout d’abord, elles permettent un accès nouveau aux connaissances et savoirs scientifiques qui nous aident à l’identification des stratégies, des mécanismes ou simplement des organismes susceptibles de nous apporter de nouvelles inspirations, alors répertoriés par les biologistes et les naturalistes. Les nouvelles technologies permettent également de reproduire des modèles (algorithmes), des comportements et des structures biologiques beaucoup plus aisément qu’avant. Plus encore, elles nous permettent également de fabriquer de concert avec certains organismes. Les technologies numériques permettent de concevoir des objets produits par des organismes (bactéries, mycelium de champignon, vers à soie, etc.) de façon paramétrique, et l’impression 3D permet aujourd’hui d’imprimer le vivant. Néanmoins, il n’existe pas encore d’outils de conception et de fabrication dédiés au bio design. Chacun des dispositifs reste à penser au cas par cas.

HDG : Design végétal, Biomimétisme, Bio design sont des pratiques émergentes quelles sont les opportunités pour un designer ?

 Guillian Graves : Pour un designer, le champ des possibles est quasi infini. Certes, nous pouvons produire des matériaux aux propriétés étonnantes, concevoir des usines vivantes et littéralement faire pousser des objets, imaginer de nouvelles façons de capter ou de produire de l’énergie, et j’en passe. Mais la plus grande opportunité qui réside dans cette approche, est la possibilité de soulever des questions nouvelles et d’émettre des hypothèses inédites.

Il faut savoir que l’émergence de nouveaux champs scientifiques laisse souvent présager de l’apparition d’opportunités de tous types, se traduisant le plus souvent par des innovations dans des champs d’applications industriels. Seulement parfois, nous faisons face à des révolutions technologiques qui rompent avec notre façon usuelle de penser, concevoir, produire, utiliser ou rêver nos produits de tous les jours et nos modes de vie. Elles formulent ainsi un besoin de réinventer les industries, les sociétés, les professions et leurs rôles, tout autant que les outils, les méthodes et les modes de représentation qui permettent de créer nos objets et leurs matérialités.

La biologie est une technologie extrêmement performante. Son potentiel d’innovation suggère donc l’émergence d’un nouveau paradigme basé sur l’utilisation du vivant en tant que ressource, susceptible de participer à l’élaboration d’une industrie nouvelle. Le “biologique” serait donc en passe de devenir à la fois un matériau nouveau à travailler, tout autant qu’un procédé de fabrication. Mais pouvons-nous travailler avec la biologie comme nous le faisons avec le fer ou le métal ? Certes non.

Nous ne pouvons pas travailler en effet avec la biologie comme nous le faisons avec le fer ou le métal. L’usage de la biologie aurait des implications multiples sur l’objet, l’éthique, l’esthétique, les coopérations, les méthodes, les échelles de création, les modes de conception et aurait également un impact sur les dispositifs et les temps de production. Réinventer les industries, les sociétés, les objets et les machines par l’usage du biologique revient à redéfinir également l’exercice du design selon ces différentes échelles.

  • À l’échelle des débats techno-scientifiques dans la société qui permettent de nous interroger sur le besoin d’inventer de nouvelles matérialités et des objets issus du vivant et de créer de nouveaux imaginaires.
  • À l’échelle des méthodes de la création, nécessitant l’apport de nouvelles méthodes de conception, de maquettage, de prototypage pour favoriser de nouveaux modes de représentation d’un matériau invisible et non préhensible à première vue.
  • À l’échelle des coopérations qui nécessitent de faire appel à de nouvelles compétences, de nouveaux outils et de nouveaux dispositifs propres aux lieux de la biologie (laboratoires, bio hackerspaces).

Ces éléments cumulés vont favoriser la convergence étroite entre les sciences et le design pour envisager de nouvelles hypothèses à l’exercice d’un nouveau design industriel.

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HDG : Faut-il nécessairement la collaboration ingénieur-designer pour déployer un processus bio design ? Quels sont les pré-requis pour que cette collaboration fonctionne de part et d’autre ?

Guillian Graves :  Ce processus nécessite de nombreuses compétences à relier entre elles. D’abord, on oublie trop souvent que rien ne serait possible sans l’aide des naturalistes et des biologistes dont les découvertes ont été réalisées sur le terrain ou en laboratoire.

Nous fonctionnons généralement sur le principe de convergence entre la biologie, qui va découvrir et identifier des principes, des fonctions et des mécanismes biologiques; la bio-ingénierie, qui va s’efforcer de découvrir la façon dont les structures et fonctions des organismes vivants peuvent être utilisés comme modèles pour la conception et l’ingénierie ( les matériaux, les machines, les objets ou les services) et enfin le design, qui va transférer ces principes dans des applications humaines, en pensant la fonction, l’usage, le dispositif, la fabrication, etc.

Ainsi, les pré-requis nécessaires à une bonne collaboration reposent sur la méthode, le langage, l’outil, l’éthique et la finalité du projet. En effet, l’expérience m’a prouvé que designers, ingénieurs et biologistes ne parlent pas le même langage, ne disposent pas des mêmes méthodologies et outils (quantitatifs pour les ingénieurs, qualitatifs pour les designers), et ne s’accordent pas forcément sur la finalité du projet. Il est alors nécessaire de prendre appui sur des bases méthodologiques communes, d’utiliser une syntaxe commune, de partager un outil conceptuel commun, et de s’accorder enfin sur la notion d’éthique et la finalité du projet.

HDG : Quels sont les types de projet sur lesquels votre agence travaille actuellement ?

Guillian Graves : Nous travaillons beaucoup sur l’élaboration de nouveaux matériaux et de nouveaux procédés de fabrication, puis sur leurs potentielles applications. Par exemple, nous travaillons avec la kombucha (prononcer « ko-m-bou-tcha »), une solution réalisée à partir de la lacto-fermentation du thé noir ou du thé vert et de sucre, avec une colonie de levures (Saccharomyces), de fausses levures (Mycoderma vini) et de bactéries (Acetobacter pour la plupart). Dans l’usage, il s’agit d’un simple thé fermenté issu de la symbiose entre des bactéries et des levures. C’est une boisson traditionnelle qui trouve son origine en Mongolie, et dont la culture s’est largement répandue en Chine comme en Russie ces deux derniers millénaires.

Le nom « kombucha » signifie littéralement « algue de thé », « kombu » signifiant « algue laminaire » et « cha » signifiant « thé ». Cette appellation résulte de l’apparition d’une membrane laminaire en surface de la solution de thé fermenté, plus ou moins épaisse selon son âge, revêt un aspect caoutchouteux. Cette membrane constituée de cellulose et de chitine appelée « mère », créée par les différents micro-organismes, dispose de propriétés très intéressantes que nous envisageons d’ utiliser dans de nombreuses applications, telles que dans les domaines de la santé et du bien-être, du textile, de la remédiation, etc. Nous travaillons donc actuellement à la conception de ces dispositifs de production « propres », à la fabrication de ces biomatériaux recyclables, ainsi qu’à la conception de leurs applications et des objets qui en découlent.

Nous travaillons encore avec une bactérie dite calcifiante, capable de transformer de la matière minérale sous la forme de poudre, en roche. En créant une réaction chimique au contact du minéral et d’un réactif particulier (urée), sporosarcina pasteurii agglomère la matière, nous permettant d’obtenir ainsi une roche qui s’apparente à un grès, aux propriétés proches du béton. Nous imaginons ainsi pouvoir recycler les déchets du bâtiment pour en créer de nouveaux objets, hybrider cette biotechnologie à l’impression 3D afin de faire de la fabrication additive par bactéries, ou encore de créer une nacre artificielle. Autant de procédés et de matériaux pour lesquels nous avons imaginé les applications futures. En plus de ces quelques projets, nous travaillons toujours à la conception de produits et de services bio-inspirés, innovants et durables.

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HDG : Quels sont vos objectifs à long ou moyen terme ?

Guillian Graves : Nos objectifs sont multiples. Pour le moment, nous cherchons à consolider et à étoffer notre réseau avec les laboratoires qui sont des partenaires désireux de découvrir de nouvelles applications à leurs recherches. Nous cherchons également à élargir notre réseau d’industriels sur le territoire français, suisse et belge. Nous continuons également à diffuser cette approche encore peu connue, par le biais de conférences, de workshops, d’enseignements et de formations.

Puis à moyen terme, nous envisageons dépasser ces premières frontières et valoriser notre expertise en développant de nouvelles méthodes et de nouveaux outils à déployer (un processus déjà entamé). J’aime penser que nous serons capable aussi d’intégrer de nouvelles compétences à notre équipe, afin de pouvoir questionner de nouveaux champs d’application !

Lien vers la « gallery » pour découvrir le projet Nautile

Pour en savoir plus : Guillian Graves et son entreprise

Découvrir la présentation de Guillian Graves au TEDx de Lille, en mai 2015 :

Innovation et design par le biomimétisme | Guillian Graves & Michka Mélo | TEDxLille

 

 

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