Form follows information, interview de Stéphane Villard

avril 9th, 2015 Posted by Evénement, Interviews, Matériaux, Objet et savoir-faire No Comment yet

Rencontre avec Stéphane Villard

La Biennale de St Etienne, capitale mondiale du design, a choisi pour sa 9ème édition de mettre l’accent sur « les sens du beau ». Pour saisir cette thématique dans toute sa complexité, nous avons visité l’une des plus belles et fascinantes expositions de la Biennale : Form follows information.

Form follows information par Studio GGSV : interview de Stéphane Villard

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Le studio GGSV a pris soin d’ériger six autels pour matérialiser notre rapport aux croyances et aux cultes, à travers ces thématiques : les données, la science, l’écologie, la perception, l’illusion et la croyance. La matérialité de ces phénomènes invisibles se libère des contraintes de la théorie et de l’inexplicable. La présence de ces objets communique quelque chose de troublant, de l’ordre du merveilleux. C’est sans doute le croisement et le dialogue muet noué entre les objets, qui font retentir la force et la fragilité de la perception, de l’émotion par l’examen des différentes interprétations sociologiques, scientifiques et spirituelles. La scénographie, d’une grande réussite, renforce cette atmosphère étrange et mystérieuse. Une stimulation visuelle qui s’exprime également par la présence de vitraux et la variation subtile des lumières naturelles. Stéphane Villard, commissaire de l’exposition, nous présente la genèse de son programme et les questionnements métaphysiques sur ces nouvelles formes de représentation. Et il reste quelques jours encore pour la visiter…

HOLOCENE DESIGN GALLERY : Comment avez-vous préparé cette exposition aux thématiques très éclectiques ?

 Stéphane Villard : C’est une exposition de designers proposée par le studio GGSV qui fait partager à la fois l’univers dans lequel on aime naviguer, un peu à la manière d’un cabinet de curiosités dans lequel on trouve des objets, et des notions qui nous parlent et font sens. C’est aussi révéler les différents regards que nous posons sur les objets et leurs multiples facettes, que ce soit un objet scientifique, un objet conçu à partir de données sociologiques, comme l’exemple de la pyramide des âges, ou encore des objets de designers qui jouent sur la méditation, les croyances occidentales ou la superstition.

Nous avons rassemblé un certain nombre de pièces de designers connus et moins connus dont on apprécie le travail. Il y a également des travaux d’étudiants. Au fur et à mesure de l’avancée de notre pensée, certaines pièces permettent d’ouvrir une thématique. C’est un travail qui s’opère simultanément entre le propos, les pièces. Nous avons pensé cette exposition en lien avec ce que représente aussi la biennale. C’est-à-dire un événement qui rassemble tant les amateurs que le grand public pour qui le design a de l’importance ou pas du tout. En considérant ce dernier point, nous avons voulu créer une forme de médiation avec des textes courts, écrits à la main afin d’essayer de trouver des chemins de pensée très directs.

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BCXSY, Linear Cycle Wall-Clock (bande linéaire – horloge)

HDG : La présentation de cette métaphore de l’invisible laisse de nombreuses traces, l’actualité nous le rappelle avec le fait par exemple de matérialiser les données de comportement ou la manière de capter les flux d’information. Est-ce que ces éléments sont devenus un terrain de jeu pour les designers, voire un mouvement de fond en terme de conception ?

Stéphane Villard : Au cours des dix dernières années, il y a eu des travaux présentés à la Biennale sur le sujet, notamment Drew Allan et Andy Huntington qui transformaient une séquence sonore en sculpture, une donnée en objet. Au démarrage nous étions dans une recherche de pièces qui soit véritablement axée sur l’expression. En creusant, on s’est aperçu qu’il y avait assez peu de choses intéressantes. C’est peut-être un mouvement de fond mais qui a plus de promesses que de réalités ! Pour avoir pas mal travaillé dans le design d’information, l’expérience a montré que le traitement par le volume n’apporte pas toujours une explication supplémentaire ou la révélation d’une réalité cachée. Ce qui nous a amené à élargir complètement l’approche et à apporter une dimension plus conceptuelle. Et ne retenir des projets que pour leur qualité plastique qui font apparaître une réalité cachée. Certes, c’est encore un terrain d’expérimentation mais lorsqu’on y regarde de plus près, ce sont toujours les mêmes mécaniques qui opèrent.

site_54886e37f2fbdMathieu Lehanneur, Demain est un autre jour

HDG : Tous ces objets s’inscrivent dans notre temps, ils sont ancrés dans une actualité (la religion, les données, l’usage des technologies, l’écologie etc.), en quoi ces objets renouvellent-ils le genre ?

Stéphane Villard : Ce qui est nouveau, c’est leur provenance. Il y a un autre champ paramétrique où l’on associe des données et des algorithmes et c’est cela qui génère la forme. Ce qui a de nouveau c’est plutôt les modes opératoires. Ces pièces inaugurent un genre nouveau celui où l’information devient un moteur-générateur de formes. La question que nous posons est d’où regardons-nous, et que voulons-nous voir ?

HDG : Est-ce qu’il y a une pièce qui vous touche plus particulièrement et pourquoi ?

Stéphane Villard : on aime toutes les pièces ! (rires) Elles sont assez singulières, une pièce qui suit le design d’information c’est celle Mathieu Lehanneur avec la pyramide des âges et il y a une autre pièce magnifique c’est le bronze de Mathieu Mercier, qui a une présence tout à fait étonnante. C’est un objet important dans l’histoire de la neurologie, dans la répartition des fonctions cérébrales. Ensuite il y aussi des pièces troublantes à l’autel des croyances. Ces objets intriguent les visiteurs qui demandent « est-ce que ça marche vraiment ? » Or, ces objets n’ont pas de pouvoir mais ont pour fonction de donner du pouvoir à … ces réactions apportent un autre regard. Comme nous sommes à la fois commissaires et scénographes, notre démarche a nous permis de faire en sorte que les pièces se parlent et renvoient les unes aux autres. Le travail de Buckminster Fuller qui revoit la présentation de la planète Terre à côté d’un rubik’s cube de Konstantin Datz ou d’un test de Hermann Rorschach c’est ce jeu d’assemblage et de mise en relation des pièces qui donnent un sens. Les pièces s’éclairent ou se contredisent. C’est le double jeu entre le commissariat et la mise en scène.

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Mathieu Lehanneur, pyramide des âges

HDG : le fait d’être commissaire-scénographe, peut faire varier votre regard. Est-ce qu’il y a une différence entre présenter des choses et représenter un point de vue ?

Stéphane Villard: Pour nous, c’est un tout. L’art de montrer les choses à la fois de face et de côté, du dessus, de dessous. Une sorte de perspective très particulière qui a beaucoup à voir avec la question de point de vue. Faire de la scénographie, c’est déjà proposer un point de vue pour que les personnes aient justement la possibilité de se faire leur propre point de vue. Ensuite l’intérêt d’une exposition c’est de voir les pièces en vrai et on sait que par nature, l’exposition est éphémère. C’est pourquoi nous avons travaillé sur l’idée de la mémoire en lien avec ce qu’on appelle l’ars memoriae qui consistait à identifier à un lieu physique particulier, un temple, un château, une architecture singulière, puis on rangeait mentalement par pièce, par lieu, par objet, ses idées. Une pièce était allouée aux sciences, une autre aux mathématiques, une pièce était dédiée à la politique etc. On revisite virtuellement les lieux et cela permet de retrouver un grand nombre d’information qui avaient été rangées. C’est pratique pour entraîner la mémoire et donner un support à l’esprit. Un support disponible pour se rappeler les choses. En somme, une scénographie utilise deux choses 1) la surprise, créer quelque chose qui doit être spectaculaire 2) avoir une expression à la fois spatiale colorielle, et formelle très particulière qui favorisent cette mémorisation, pour que les personnes se souviennent de certaines choses. Ce n’est pas tant les pièces qui leur reviennent que la disposition spatiale.Enfin ce lieu, la manufacture des armes et cycles, nous a amené à savoir comment poser les choses de manière à ce qu’elles soient en résonance avec l’architecture. Et que cela forme un tout. Cela place le visiteur dans une disposition particulière.

Turbulent- Steve Mcpherson, Lucky Toad-Laureline Galliot, 2 puissance7 – Théophile Blandet, Chant des quartz- Laura Couto Rosado

« En se saisissant d’abstractions et en leur donnant forme, le design s’emploie à figurer les choses pour qu’elles prennent corps. Il produit des représentations qui permettent de voir autrement le connu ou d’apercevoir l’imperceptible. Mais quel est le sens des objets fabriqués ? Sont-ils des supports de connaissance ? Proposent-ils des réflexions esthétiques »- studio GGSV

 

L’exposition Form follows information en savoir plus

Le studio GGSV en savoir plus ici 

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